Littérature jeunesse au Rwanda - Parole d'experte avec Laure Blédou

« De Dakar à Bamako en passant par Bujumbura, on voit naître de nouveaux acteurs de l’édition jeunesse qui valorisent des récits ancrés dans la réalité africaine, c’est enthousiasmant ! »

Directrice éditoriale chez Bayard Afrique en Côte d’Ivoire, Laure Blédou est la rédactrice en chef de Planète J’aime Lire, magazine jeunesse conçu et imprimé en Afrique. Dans le cadre des Rencontres internationales du livre francophone (RILF) à Kigali, elle a animé des ateliers professionnels pour des éditeurs rwandais ainsi que des éditeurs burundais invités avec le soutien du projet Ressources éducatives – Lire pour apprendre. Ce projet, financé par l’AFD, vise à soutenir la production et la diffusion de littérature de jeunesse au service des apprentissages dans 15 pays d’Afrique subsaharienne.

Pourriez-vous présenter les objectifs et contenus des ateliers professionnels que vous avez animés aux Rencontres internationales du livre francophone (RILF) ?

Quand on a commencé à travailler sur l’élaboration de cette session d’ateliers professionnels avec l’Institut français du Rwanda, j’ai pu affiner les objectifs : permettre aux participants de développer leurs compétences-métiers, leurs connaissances du secteur dans sa pluralité en Afrique et dans le monde et… de booster leur business ! Ce dernier point était crucial pour moi. Je me souviens avoir dit en kick-off meeting qu’on allait parler argent et pas seulement littérature.
Par ailleurs, je souhaitais aussi partir des besoins des professionnels. Pour cela, j’ai mis en place un questionnaire ciblé de participation en sachant par exemple qu’évoquer la planification et la diversification permettrait déjà de se poser de bonnes questions.

C’est ainsi que nous sommes arrivés sur 3 demi-journées avec 3 thématiques :

  • Être un éditeur/libraire singulier et central, autour de l’identité de marque et la création d’alliances ;
  • Le développement de la relation auteur et illustrateur, à la fois pour le sourcing et l’accompagnement mais aussi pour la promotion du catalogue
  • Et un focus sur la création de valeur, avec notamment l’organisation de sa maison d’édition en mode agile.

Toutes les thématiques ont été passionnantes et ont soulevé des débats mais il faut reconnaitre que la vision de l’éditeur en start-uper fut une révolution pour certains !

Pendant ces ateliers vous avez échangé avec des éditeurs rwandais et burundais, que retenez-vous des défis exprimés ?

Les défis sont nombreux et les éditeurs m’ont impressionnée par leur ténacité ! Si je devais citer trois challenges, je retiendrais ceux-ci :

  • Économiques, notamment en raison du coût de production des livres au regard de la faiblesse du pouvoir d’achat des lecteurs.
  • Organisationnels aussi. Plusieurs éditeurs sont arrivés dans le métier par passion. Ils peuvent connaitre le métier et l’environnement pays mais ont besoin de renforcer leurs compétences aussi en management de projet ou même suivi de comptabilité par exemple.
  • Linguistiques. Dans de nombreux pays du continent se pose la question des langues de publication pour toucher le plus grand nombre, je l’ai vécu au Mali avec le bambara notamment, en Afrique du Sud où j’ai des attaches, je le vois aussi au Sénégal. Au Rwanda, les éditeurs sont pris dans des choix à faire entre le français, l’anglais et le Kinyarwanda. Publier le même titre en 3 langues ? Faire une publication bilingue ? Alterner …. ? Il y a des décisions cruciales à prendre.

Quel est votre diagnostic sur l’état actuel de l’édition jeunesse en Afrique subsaharienne, et plus largement sur la diffusion de la littérature jeunesse dans cet espace ?

En février dernier j’étais à la 15è édition de la rentrée littéraire du Mali qui proposait cette année un volet rencontre des professionnels de l’édition avec une demi-journée dédiée aux éditeurs jeunesse. Le secteur foisonne ! De Dakar à Bamako en passant par Bujumbura, on voit naitre de nouveaux acteurs qui valorisent les contes du pays ou proposent des récits ancrés, c’est enthousiasmant ! Mais des axes de progression forts sont encore là : parfois la forte envie de sensibiliser ou passer des messages rend la narration maladroite . Et puis, il y a la question des histoires que les éditeurs jeunesse choisissent de publier pour décrocher des fonds de bailleurs ou en quête d’inscription dans les programmes scolaires. Cela biaise les thématiques abordées, un certain misérabilisme flotte dans les récits que l’on propose à nos enfants, je le dis aussi en tant que maman, acheteuse de livres jeunesse.
Concernant la diffusion de la littérature jeunesse, les défis sont assez proches de la littérature fiction générale. Il est parfois plus facile de trouver à Paris qu’à Abidjan un album édité au Bénin… Mais sur ce point, il y a tout de même certains libraires qui permettent de passer commande. Et puis les formats numériques peuvent aider : les version audios sont des pistes intéressantes pour les éditeurs et pour les parents !

Dans quelle mesure le projet Ressources éducatives vous semble-t-il ouvrir des perspectives intéressantes ?

Dès que j’ai entendu parler du projet, j’ai été très intéressée par le volet « Lire pour apprendre » qui s’appuie la littérature jeunesse, notamment celle produite sur le continent, pour le développement des apprentissages. Comme l’a écrit l’auteur ivoirien multi-primé Armand Gauz : « les enfants deviennent les adultes des histoires qu’on leur a lues ».

Et le soutien au renforcement des capacités des acteurs de la chaîne du livre est crucial. On réfléchit d’ailleurs déjà à la suite des ateliers au Rwanda et leur déclinaison dans d’autres pays.

La chaîne du livre dans 10 ans en Afrique subsaharienne, quelle vision en avez-vous ?

Je le dis d’emblée, je crois à l’avenir du livre, même si l’objet et sa médiation sont aussi à réinventer notamment avec l’audio, des éditions donnant une autre place au visuel, etc.
Sur le livre jeunesse, je visualise un développement de la chaîne.
Côté lecteurs avec les classes moyennes montantes dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne donc plus de parents éduqués qui croient à l’intérêt de la lecture pour leurs enfants et investissent, même des petites sommes, dans des livres pour leur maisonnée.
Côté professionnels de l’édition avec une plus grande offre et des acteurs de plus en plus compétents. J’ai évoqué plus haut le livre audio. Il y a aussi le format histoires en podcast qui représente pour moi un vrai potentiel de développement. Je parle chaque jour des bienfaits de l’écoute. Et me bats pour être entendue !

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Photo Laure Blédou